Le Président Emmanuel Macron a reçu plus de 300 chercheurs, représentants d’établissements supérieurs, instituts de recherche, institutionnels et chefs d’entreprises, pour présenter sa vision pour l’avenir de la recherche française, le jeudi 7 décembre à l’Élysée. Nous vous proposons un deuxième décryptage de cette allocution : « Donc je n’ai pas dit qu’on allait réformer les statuts. Mais à la fin des fins, qu’est-ce qu’on veut ? On veut que vous puissiez former, recruter, garder les meilleurs chercheurs au monde et les attirer. On veut que ça puisse se faire dans une très grande liberté académique et donc que ce soit entre pairs que ce soit décidé. Mais après, on veut quand même simplifier la vie de tout le monde et que ce soit au niveau des équipes, que les choses se décident avec beaucoup plus de liberté. Et moi, je suis incapable de dire au fond s’il faudrait 100 % de temps de recherche pour la même personne tout au long de sa vie, et c’est sans doute une stupidité absolue de notre système. Tout ça parce qu’il est rentré à 25 ans dans un système et peut-être que cette même personne, elle aura à un moment donné envie de faire un peu plus d’enseignement. Les choses selon les disciplines, selon sa vie, ses choix font qu’on a peut-être à un moment envie de faire plus d’enseignement, plus de recherche, plus de clinique. Les statuts ne sont pas des protections aujourd’hui, ce sont devenus des éléments de complexité. Donc moi, je vous invite très sincèrement, vous êtes beaucoup plus intelligents que moi, tous dans cette salle, à les changer vous-mêmes. À mon avis, c’est le meilleur truc à faire ; c’est-à-dire qu’il faut préserver du temps de recherche pour les gens qui sont très bons, qui en ont envie ou autres. Se dire d’ailleurs qu’à mon avis, pour les très bons chercheurs, moi, je parle sous le contrôle de gens qui font ça, j’ai beaucoup d’admiration. Il y en a qui considèrent que l’enseignement nourrit leur recherche. Et moi, je crois vraiment qu’on a une approche et on a en quelque sorte sur ce sujet des guerres de tranchées qui sont d’un autre âge. On va continuer de donner plus de moyens et j’en serai le garant devant vous. »
Que dire de cet extrait de discours ?
Il est un encouragement à s’affranchir « des statuts » des personnels de la recherche dans les EPST, c’est-à-dire essentiellement des chargés de recherche et des directeurs de recherche. Ces statuts ont plusieurs caractéristiques : ils rattachent ces personnels à la fonction publique de l’État au sein d’établissements publics et leur confient une mission entièrement dédiée à la recherche scientifique assortie en pratique de possibilités de mobilité renforcées par rapport à celle d’un enseignant-chercheur par exemple. Ces statuts reposent pour l’essentiel sur la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État et du décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 modifié fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques.
Or, dans le monde de la connaissance scientifique, les statuts n’ont pas été élaborés par dogmatisme, mais bien pour permettre l’accomplissement correct des missions de ces fonctionnaires définies dans l’Article L411-1 du Code de la recherche1.
L’ensemble de ces missions nécessite aujourd’hui encore que soit garantie l’indépendance de la recherche, que cette indépendance soit intellectuelle ou matérielle.
Il faut rappeler que lorsqu’il a statué sur le cas des enseignants-chercheurs, le Conseil constitutionnel a dit que, « par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent, mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la libre expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables ». Il n’y a aucune raison de penser que le raisonnement puisse être différent en ce qui concerne les chercheurs dont l’indépendance découle aussi de la sécurité statutaire : « Le principe d’indépendance implique que l’activité de recherche puisse se déployer de manière libre, non seulement à l’abri des pressions des pouvoirs de toute nature, mais encore en échappant aux déterminismes de tous ordres susceptibles de bloquer la réflexion »2.
Outre les possibilités d’ancrage constitutionnel dont il bénéficie, le principe d’indépendance de la recherche trouve aussi une expression dans les textes européens qui s’imposent au législateur français, telle la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui énonce dans son article 13 que « Les arts et la recherche scientifique sont libres. La liberté académique est respectée » suivant en cela nombre de constitutions européennes, notamment l’article 5 Loi fondamentale Allemande3.
Il n’y a donc aucune raison de dire que si le statut a été pensé comme une garantie du principe d’indépendance de la recherche, cette construction soit devenue obsolète aujourd’hui.
Quel sens donner à l’invitation de changer les statuts « vous-mêmes » ?
Si l’on suit le sens du discours, le Président semble surtout se référer à l’idée de moduler les obligations entre les missions de recherche et d’enseignement tout au long de la carrière. Est-ce à dire que l’on puisse imposer des missions d’enseignement aux chercheurs, sur quels critères et dans quelles proportions ?
D’abord, il est légitime de s’interroger sur le bien-fondé d’une telle opinion, qui conduit à déshabiller la recherche française au moment où l’on reconnaît qu’elle manque d’attractivité.
Ensuite si l’on fait cela « sans toucher au statut », cela revient à pousser les feux de la contractualisation, probablement par le recours massif à des embauches à temps et « hors statuts »4. Cette technique, utilisée en son temps pour la SNCF ou France Télécom, n’est pas sans produire nombre d’effets pervers. Gageons qu’ils seront maximisés dans un domaine où les compétences peuvent rapidement se trouver dévalorisées, si les chercheurs ne trouvent pas dans leur statut même, des garanties de formation et de reconversion…
Sup’Recherche-UNSA, demande que l’on ne s’affranchisse pas purement et simplement des statuts, condition institutionnelle de l’indépendance de la recherche. « Il est parfois nécessaire de changer certaines lois mais le cas est rare et, lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher que d’une main tremblante » (Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748), il en est de même des statuts des chercheurs et des enseignant-chercheurs.
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1 Les personnels de la recherche concourent à une mission d’intérêt national. Cette mission comprend :
a) Le développement des connaissances ;
b) Leur transfert et leur application dans les entreprises, et dans tous les domaines contribuant au progrès de la société ;
c) L’information des citoyens dans le cadre de la politique nationale de science ouverte et la diffusion de la culture scientifique et technique dans toute la population, notamment parmi les jeunes ;
d) La participation à la formation initiale et à la formation continue ;
d bis) La construction de l’espace européen de la recherche et la participation aux coopérations européennes et internationales en matière de recherche et d’innovation ;
e) L’administration de la recherche ;
f) L’expertise scientifique.
2 Jacques Chevallier. L’indépendance de la recherche. Indépendance(s). Mélanges en l’honneur de Jean-Louis Autin, Presses universitaires de Montpellier, pp. 197-214, 2011. hal-01722510.
3 Ainsi le Tribunal constitutionnel allemand dans un arrêt du 24 mai 1973 fondé cet article estime que la liberté de la recherche dépend d’un autre principe : le principe de l’indépendance des universités.
4 On songe à un recours massif à des contrats de « chercheurs associés ».