Fusions et communautés d’universités : ne confondons pas vitesse et précipitation !
Un récent rapport de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche (IGAENR) formule de nouvelles propositions pour faciliter les regroupements entre universités, écoles et organismes de recherche. La fusion sous la forme d’un grand établissement y est présentée comme LE modèle de regroupement à privilégier. Celui des communauté d’universités et d’établissements (COMUEs) n’arrive qu’ensuite, lorsque la fusion ne s’avère pas possible, et à condition qu’il s’accompagne de transferts de compétences supplémentaires.
Il propose, en outre, une série de simplifications de la gouvernance des COMUEs actuelles qui risquent de braquer encore davantage les acteurs de terrain, déjà fortement échaudés de ne pas avoir été suffisamment associés à la construction de ces ensembles qui bouleversent profondément l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Cette précipitation, et ce manque de concertation, risquent fort de nous conduire rapidement à un blocage total du système si l’on ne change pas de méthode.
Regroupements et PIA : deux outils complémentaires de reconfiguration de l’ESR.
Rappelons, tout d’abord, que les regroupements se situaient au cœur de la loi du 22 juillet 2013 et qu’ils en constituaient, probablement, le principal objectif. Le gouvernement a trouvé, par la loi, un moyen efficace de reconfiguration du paysage de l’ESR sans renoncer, pour autant, à l’approche initiée par son prédécesseur, exclusivement centrée sur la manne du Programme d’Investissement d’Avenir (PIA) qui visait à faire émerger 8 à 10 pôles d’excellence de rang mondial.
En plus de la loi, le PIA a donc été utilisé comme levier pour encourager les acteurs à tendre vers la fusion ou, à tout le moins, vers un modèle de COMUE qui soit le plus intégré possible. Le poids accordé à la gouvernance par le jury international n’avait pas manqué de nous interpeller ; là où un mode d’organisation de type projet nous aurait paru plus indiqué, le jury semblait systématiquement privilégier des structures dites « intégrées », bien que plus lourdes et moins agiles !
Le modèle privilégié est celui de la fusion sous un statut de grand établissement.
L’auteur du rapport, J.-R. Cytermann, reconnait qu’une erreur a été commise dans loi de 2013 : avoir limité les possibilités de recours aux statuts de grand établissement. Il préconise de corriger ce point qui est le principal blocage à la fusion de certains établissements, en particulier des écoles. Et lorsque la fusion ne s’avère pas possible, il recommande un modèle de COMUE beaucoup plus intégré avec un transfert de compétences supplémentaires (en particulier en matière de RH et de diplomation), des moyens budgétaires (dotation unique, système de préciput sur la dotation des membres) et un contrat de site unique.
Cette volonté de forte intégration, voire de fusion, ne nous surprend pas ! Les COMUE, en effet, ont tous les attributs d’une université (statut, instances, etc.). Dès lors qu’elles se voient dotées des mêmes compétences et de tout ou partie des moyens afférents, plus rien n’empêche qu’elles deviennent des universités de plein exercice. Tout le monde ne partageait par notre analyse à l’époque, mais il nous paraissait clair, dès le départ, que les COMUEs, en tout cas la plupart d’entre elles, avaient été pensées de manière pré-fusionnelle.
Certaines simplifications apportées à la gouvernance des COMUEs risquent de crisper.
Parmi les autres mesures de simplification envisagées pour la gouvernance des COMUEs actuelles, celle qui vise à assouplir les conditions de recours au suffrage indirect lors des élections aux conseils nous paraît inopportune. Ces regroupements s’inscrivent dans un contexte de forte crainte et n’apparaissent pas partout comme des dynamiques nouvelles, mais plutôt comme des démarches de rationalisation qui avancent à marche forcée. Une grande majorité́ des personnels ou des usagers n’en perçoit pas l’intérêt. Cette structuration est encore vécue comme une menace, un éloignement des centres de décision, une dégradation des conditions de travail et d’études.
Dialoguer pour construire autrement et prévenir tout risque de blocage.
Ces phénomènes organisationnels sont bien connus des gestionnaires. Tels que conçus actuellement, les ensembles constitués reproduisent et amplifient tous les travers des bureaucraties professionnelles. Les strates intermédiaires qui sont mises en place pour les piloter renforcent presque toujours la technostructure au détriment du centre opérationnel qui étouffe, alors qu’il est le lieu où se crée la valeur.
C’est d’autant plus rageant que si l’on persiste avec cette méthodologie, l’on sait que ces mastodontes sont voués à dysfonctionner plus qu’à fonctionner et que les objectifs de visibilité et d’attractivité recherchés ne seront bien évidemment jamais atteints.
Pour que les acteurs, qui sont aussi des sujets réflexifs, en particulier dans le secteur de l’ESR, deviennent des agents du changement, il est indispensable de les associer étroitement à la construction des regroupements. Et il eût été préférable de le faire dès la phase d’avant projet ! Malheureusement, ceci n’a pas toujours été le cas, on le voit aujourd’hui avec les nombreuses péripéties que connaissent certaines COMUE, et l’instabilité qui en découle (cf. heSam, Léonard de Vinci, Saclay, USPC, UBPL…).
Ce n’est visiblement pas l’option choisie par le gouvernement qui a tenté d’introduire, par un cavalier législatif, un amendement au projet de loi “Statut de Paris et aménagement métropolitain” (discuté à l’Assemblée nationale le 14 décembre), en vue de modifier le code de l’éducation. Il s’agissait de créer un nouveau type d’EPCSCP, issu de la fusion des membres d’une COMUE ou d’une association, et ayant la possibilité de déroger à toute une série de dispositions : grands principes de création et d’autonomie, création de services communs, composition des conseils, régime financier, contrôle administratif et financier.
La vitesse est toujours mauvaise conseillère, et la précipitation plus encore. Un léger surcoût de temps, consenti à la concertation, s’amortit généralement en des délais très courts. Mais ce petit “sacrifice” constitue l’une des clefs qui peut transformer ce genre de projet en un investissement réussi, ou en un énorme gâchis.
“Et si de t’agréer je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris”
Jean de La Fontaine.
Il semblerait, depuis, que nous ayons été entendus puisque le gouvernement a retiré son amendement. Gageons que la trêve des confiseurs saura le ramener à de meilleures résolutions en matière de concertation !
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