7ème colloque du réseau des vice-président(e)s Recherche & Valorisation
SUP’Recherche – UNSA a été invité par le réseau des vice président-e-s recherche et valorisation des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, à participer à une table ronde lors de leur 7e colloque sur le thème : quelle(s) (r)évolution(s) pour la recherche et l’innovation en France ? La loi de programmation pluriannuelle pour la recherche a été au centre des débats. Au cours de cette table ronde, Sup’Recherche-UNSA a rappelé ses attentes vis-à-vis de cette loi. Voici les éléments principaux de notre intervention.
Le contexte
Pour Sup’Recherche-UNSA les transformations structurelles que l’ESR a subies ces dernières années ont affaibli les établissements. En effet, si la dévolution de la masse salariale aux établissements leur donne de l’autonomie dans la gestion des emplois, cela les contraint surtout à mettre en œuvre des plans de retour à l’équilibre faute de financement de la masse salariale par l’État. Les Conseils des universités doivent ainsi arbitrer, entre transformations de poste de PR en MC ou PRAG, et gels de postes.
Nous attendons donc de cette loi de programmation pluriannuelle de la recherche qu’elle redonne des marges de manœuvre aux établissements afin qu’ils aient la capacité d’avoir une réelle gestion des ressources humaines.
Les résultats du baromètre UNSA éducation montre que la plupart des enseignants et enseignants-chercheurs aiment leur métier (95 %) et sont heureux de l’exercer (85 %) en revanche plus de la moitié ne le conseillerait à un jeune de son entourage ! Les causes en sont : la dégradation des conditions de travail, les salaires, les perspectives d’avancement qui ne sont pas à la hauteur des attentes. C’est donc bien la question de l’attractivité des métiers de l’ESR qui doit être au centre le cette loi de programmation pluriannuelle pour la recherche.
Nos attentes vis-à-vis de cette loi
Comme l’a dit plusieurs fois Mme la ministre, cette loi doit permettre aux laboratoires, quelle que soit leur taille : petits et grands, d’avoir une visibilité dans le temps sur les moyens dont ils disposent afin que les travaux, dans tous les champs disciplinaires, puissent s’inscrire sur la durée. En outre, les solutions préconisées ne doivent pas être calquées systématiquement sur le modèle des STS, mais prendre en compte les spécificités des autres champs disciplinaires : ALL et SHS notamment.
On nous annonce une loi de programmation sur 10 ans. On sait d’expérience que les gouvernements qui se suivent prennent quelques libertés avec les engagements de leurs prédécesseurs. Sup’Recherche-UNSA attend des améliorations concrètes, dès les premières années de sa promulgation. Il faut donc que les effets de cette loi se fassent sentir dès 2021.
L’attractivité
Par cette loi, la volonté du gouvernement est « d’attirer, de reconnaître et de conserver les meilleurs talents, à l’échelle nationale et internationale. » On ne peut qu’être d’accord sur ce point encore faut-il s’entendre sur ce qu’est un « talent ». Il faut rappeler que la spécificité de nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche est de recruter des « enseignants-chercheurs » et pas uniquement des chercheurs. Or on sait que depuis longtemps le « talent » le plus valorisé dans la carrière de ces personnels est celui de chercheur. C’est pour cette raison que Sup’Recherche-UNSA rappelle son attachement aux deux aspects du métier : enseignement et recherche. Pour nous, les talents recherchés doivent relever tant du domaine de la recherche que de celui de l’enseignement. Pour conserver ces talents, il faut que les carrières scientifiques à l’Université ou dans les Organismes de recherche soient aussi attractives que celles que les docteurs peuvent avoir dans le privé. Pour Sup’Recherche-UNSA cela passe par une revalorisation les carrières et les conditions de travail.
Pour Sup’Recherche-UNSA, la recherche doit être servie, outre par des investissements privés, mais aussi par une Fonction Publique d’État ce qui implique que les personnels de recherche aient le statut de fonctionnaire d’État. Si ce statut peut être un facteur d’attractivité du fait de la stabilité qu’il octroie, il permet de développer des projets de recherche avec une vision à plus long terme et conduit surtout à ce que ces personnels soient d’abord des serviteurs de l’État et des intérêts publics. Or, ce potentiel humain recule : entre 2014 à 2018, le corps électoral des chercheurs et enseignants-chercheurs est passé de 51 017 à 48 965 (élections au CTU de 2014 et 2018) ce qui correspond à 2052 ETP en moins, soit la disparition de 1,4 postes/jour sur ces 4 années… Cette dégradation de l’état de l’emploi public scientifique va à l’encontre de ce qui pourrait être un élément d’attractivité. La loi de programmation doit endiguer cette décrue.
La rémunération des EC et des chercheurs, leurs perspectives de carrière nuisent aussi à l’attractivité de ces métiers : à titre d’exemple, un MCF débute avec 1,44 SMIC et peut espérer au maximum 3 fois le SMIC en fin de carrière. Les carrières complètes sont de plus en plus rares vu l’âge moyen d’entrée dans le métier qui en 2016 est de 33 ans pour les MC et plus de 34 ans pour les CR. Les travaux des économistes ont montré que les rémunérations n’ont cessé de baisser, ils ont évalué cette baisse à 20 % entre 1981 à 2004.
Le ministère souhaite mettre en place une « véritable gestion prévisionnelle des emplois et des carrières scientifiques ». Aujourd’hui la gestion des emplois se fait surtout au niveau des établissements. Le choix de remplacer (ou pas) un personnel partant à la retraite en maintenant (ou pas) le niveau du poste, se fait en fonction de la masse salariale disponible pas en fonction du nombre d’heures d’enseignement à assurer (ce qui est souvent une variable d’ajustement). Une gestion prévisionnelle des emplois et des carrières scientifiques suppose en préalable que l’État s’engage à attribuer aux établissements une masse salariale qui leur permette de recruter à la hauteur du plafond d’emploi auquel ils ont droit. C’est ce plafond d’emploi qui doit être l’objet de la négociation entre le ministère et les établissements. Son coût final dans le budget des établissements dépend de facteurs sur lesquels ils ont peu de prise comme l’âge moyen des personnels, leurs profils de carrière…
Les partenariats
Pour le gouvernement, la loi de programmation doit aussi avoir des retombées en ce qui concerne le transfert de technologies de la recherche publique vers les entreprises et la recherche partenariale.
Lors de la première journée de ce colloque, c’est principalement le partenariat public — privé qui a été mentionné. Sup’Recherche UNSA tient à rappeler que, si dans le domaine des STS les entreprises sont un partenaire « naturel » des équipes de recherche des Universités et des EPIC, en SHS de nombreuses pistes de partenariat sont possibles avec des organismes publics. Sup’Recherche – UNSA attend de cette loi qu’elle permette de développer également les partenariats « public — public » que ce soit entre des universités et des collectivités locales, l’université et des structures relevant d’autres ministères comme ceux de l’éducation nationale, la culture… Ce serait un comble si l’État n’était pas un des premiers bénéficiaires des savoirs et savoir-faire issus des recherches qu’il finance (peu). La recherche peut et doit aussi avoir des retombées dans les secteurs non marchands de la société comme l’éducation, la culture…
Comment le développer ce partenariat ? Par le développement des bourses CIFRE. Il faut informer que ces bourses ne sont pas réservées aux thèses conduites avec les entreprises, mais que les associations, collectivités territoriales, chambres consulaires… sont également éligibles à ce dispositif1 cela permettra de développer le partenariat et le transfert Public-Public.
La recherche appliquée est souvent moins reconnue dans la carrière des enseignants-chercheurs, voire même dans certaines situations n’est pas reconnue comme de la recherche « académique ». C’est un frein à l’engagement des EC dans des partenariats, d’autant que cela nécessite souvent du temps dans les « entours » de la recherche pour se connaître, pour s’accorder… franchir les barrières culturelles… il convient de trouver la manière de valoriser dans la carrière des EC ce temps passé avec les partenaires (entreprises privées, structures publiques, associatives…).
On peut associer davantage d’acteurs de l’innovation à la réflexion ou à la définition de certaines orientations stratégiques des organismes de recherche en mettant en œuvre de nouveaux modèles de recherche participative. Il faut dépasser le modèle d’une implication des citoyens dans la recherche scientifique en leur demandant, par exemple de participer à des collectes de données. Il faut passer à une recherche citoyenne2 avec une approche qui favorise le dialogue et l’action entre citoyens et chercheurs en associant chacun à parts égales à la définition d’une problématique qui a du sens pour tous.
Le financement de la recherche
Le rapport de la commission d’études du CNESER a montré que les crédits consacrés au Crédit d’Impôt Recherche (CIR) n’ont pas toujours l’effet de levier escompté. Depuis longtemps, Sup’Recherche demande le redéploiement d’une partie de ce dispositif en direction des PME, secteur entrepreneurial où ce dispositif a un effet de levier, en le conditionnant à l’embauche de doctorants et de jeunes docteurs.
Les crédits récurrents actuels n’étant pas suffisants pour effectuer un travail de recherche et d’enseignement dans de bonnes conditions, les enseignants-chercheurs doivent répondre à des appels d’offres à tous les niveaux du système : international-européen, national, local (voire infra local quand les composantes lancent des appels à projets d’innovation pédagogique). Les enseignants-chercheurs passent donc une grande partie de leur temps sur des tâches pour lesquelles ils n’ont pas été formés, dans la mesure où l’institution leur apporte un appui insuffisant, et quand ils ont obtenu des financements, ils doivent recruter des personnels précaires, faire du reporting, de la gestion financière… Tout ce temps passé à cela n’est pas consacré aux missions premières des enseignants-chercheurs : enseignement et recherche.
Si la France est au 5e rang mondial pour la dépense de recherche publique en 2015, rapportée au PIB (en intégrant la R&D en défense), elle ne représente 0,86 % ce qui est encore loin de « l’objectif de Lisbonne » qui est d’y consacrer de 1 % du PIB. De plus depuis 2000, l’investissement en recherche publique ne croît que de 1,5 % par an en volume. Cette situation est à comparer avec celle nombreux pays de l’OCDE où elle a bien plus sensiblement augmenté (exemple l’Allemagne +2,9 %). Pour Sup’Recherche la loi devrait permettre une augmentation des ressources dédiées à la recherche publique, avec pour priorité la hausse des dotations récurrentes aux équipes de recherche afin d’atteindre cet objectif et de ne pas décrocher par rapport aux autres pays.
Sup’Recherche n’est pas pour autant, opposé à un mode de financement de la recherche par projets, dès lors qu’on assure un financement récurrent suffisant des unités de recherche.
Le nombre de projets financés face au nombre de projets soumis reste très faible (15% en 2018) ce qui engendre du découragement de la part des équipes. Nous demandons donc une augmentation des crédits alloués à l’ANR afin d’augmenter la proportion de projets financés et reconnaître le travail des équipes.
Nous souhaitons :
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le maintien d’une forte proportion des crédits alloués à des projets émergents et à des projets Jeunes Chercheurs.
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le renforcement de l’accompagnement des réponses aux appels d’offres, ainsi qu’au déroulement des projets financés.
Nous considérons que l’accroissement du temps de travail dédié à la recherche de financement et au pilotage de projets doit pouvoir être compensé plus systématiquement sous forme de décharges d’enseignement.
Pour nous l’agence nationale de la recherche (ANR) doit :
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savoir prendre des risques en soutenant des projets émergeant.
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financer davantage de projets et couvrir de vastes champs disciplinaires.
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inciter et d’accompagner la mise en place de projets collaboratifs innovants où chaque partenaire quelque soit sa taille, puisse trouver sa place et donner le meilleur.
1Voir la plaquette de l’ARN : http://www.anrt.asso.fr/sites/default/files/cifre-plaquette-2019.pdf
2Voir le site : https://sciencescitoyennes.org/recherche-participative-ou-en-est-on/